vendredi 11 avril 2014

"Là où le bât blesse".

Je crois que ce qui est difficile, voir à limite insupportable c'est de constater que tout ce que j'avais prévu autour de cette intervention ne se déroule pas du tout comme je l'avais imaginé.

Il y a aussi ce que j'ai entendu pendant l'opération, le chirurgien disant: c'est une petite cicatrice, les muscles ne sont pas atteints et la petite dame elle va remarcher très vite. Et après en consultation, il me dit qu'il faut trois mois. Cela me semble bien discordant. La cicatrice n'est pas petite et les muscles mettent du temps pour récupérer. Alors je me demande un peu ce qui se passe et pourquoi je fais partie des cas qui ne "se passent pas comme une lettre à la poste".

En acceptant la date du 5 Mars pour l'intervention, date qui nous empêchait de retourner aux Arcs cette année, je pensais vraiment être revenue dans le monde des vivants, dans le monde "normal" sans béquilles pour la semaine pascale. Je sais qu'il faut 9 mois avant de pouvoir faire du ski, alors prévoir l'opération en mars était cohérent avec mon désir, puisque le but de cette prothèse c'était être libérée du blocage de l'articulation pour aller vers un mieux être. Or là, pour le moment si le blocage de l'articulation est levé (même si je dors toujours sur le dos avec un oreiller pour éviter une possible luxation de la prothèse) pour le reste c'est dans la perte et non dans le gain.

Il était évident pour moi que je pourrais célébrer la semaine sainte au Prieuré comme tous les ans, car ces trois jours sont importants pour moi et j'y tiens.

Or, actuellement rien n'est moins sur. Je ne me vois même pas tenir le temps de la messe des rameaux, même en allant m'asseoir dans l'église pendant la lecture du texte et la bénédiction des rameaux. Je ne me vois pas écoutant (même assise) la longue Passion selon Saint Matthieu. Il en est de même pour le jeudi Saint, le vendredi Saint et à fortiori la veillée pascale. Me dire que je ne pourrais pas passer une petite heure le vendredi saint dans la chapelle du Prieuré, cela me pèse sur le coeur.

Alors il y a une déception: ce que j'avais prévu, imaginé ne se réalise pas. Est ce que cela démolit mon besoin de contrôle, mon besoin de maîtrise, ma peut être toute puissance? Je ne sais pas. Bien sur je vais faire avec, car que faire d'autre, mais est cela qu'on appelle le lâcher prise?

Là je ne peux pas me cramponner, parce qu'il n'y a rien pour s'accrocher, pour se cramponner. Je ne peux pas aller plus vite que la musique et même si on m'a rabâché dans mon enfance que "impossible n'est pas français" et que "vouloir c'est pouvoir", là, même si je fais ce que je peux que ce soit pendant les séances de kiné ou chez moi, c'est à un autre niveau que ça se passe, je ne peux pas faire certaines choses, je ne peux pas marcher sans cannes, je ne peux pas plier facilement cette jambe, je ne peux pas.

Est ce que cela démolit l'image que j'ai de moi, peut être. Je me supporte mal avec les cannes, je me supporte mal ayant du mal à sortir de mon lit le matin et de trouver que la cuisine c'est bien loin, je me supporte mal en train de m'accrocher un peu aux meubles pour avancer. Je ne m'aime pas beaucoup comme cela, même si je crois que c'est du temporaire. je dois bien m'accrocher à cette notion de temporaire, sinon ce serait une sorte d'échec.

Bien sûr s'il n'y avait pas eu d'hématome, pas de chute de fer, pas de... Mais il y a eu et c'est comme ça. Mon corps a réagi comme cela. Est ce que j'en voulais vraiment de cette opération? Oui dans la mesure où compte tenu de mon âge et de l'ostéoporose c'était maintenant qu'il fallait la faire, non parce que comme je l'ai dit d'une part le contact avec le chirurgien n'a pas été bon  et aussi parce que malgré la douleur, je vivais pas trop mal avec cette coxarthrose. Et puis comme je l'ai dit, une prothèse reste une prothèse et qu'il y a quand même une amputation.

Je ne sais pas si ce qui m'arrive peut se solutionner avec du "lâcher prise", parce que pour moi le lâcher prise ce n'est pas cela. Le lâcher prise c'est arrêter de se cramponner à quelque chose ou à quelqu'un pour que le lien trop fort se transforme en autre chose.

Là il me faut accepter peut être de vivre un certain temps avec une image comme amputée de moi même, de mon autonomie, de mon indépendance.

La petit phrase "laisser le temps au temps" je ne l'aime pas, même si je la comprends. Est ce cette incapacité de maitriser le temps, de savoir comment ça va évoluer qui me fait mal?

Peut être que ce que je vis là, ce que je n'ai vraiment pas choisi de vivre, ce serait comme accepter de laisser bousculer, de se laisser balloter par le souffle du vent ou le souffle de l'eau, et ne sachant pas ce qui va advenir. De toutes les manières, je n'ai pas le choix. Mon corps a mal, ma jambe qui me parait plus courte que l'autre ne me porte pas ou très peu, et la fatigue n'est pas complètement derrière.

Abandonner des projets ce n'est pas simple. Même si ce sont de tous petits projets, peut être trop ritualisés.

Je pense à ce que Luc fait dire à Paul dans les Actes: Le Saint Esprit nous ayant empêché d'aller à tel ou tel endroit nous.. Là je me dis que c'est peut être le Saint Esprit qui en me dérangeant dans mes projets veut me pousser à aller vers un ailleurs. Cet ailleurs faut il l'inventer ou va t il le créer pour moi?

Il est certain que l'idéal ce serait de pouvoir louer Dieu à la manière de Carrother, c'est à dire de croire au plus profond de moi, que c'est ce qu'il y a de mieux pour cette année, que si le chirurgien  a bâclé son travail (parce que c'est ce que je crois), cela a été voulu et décidé pour mon bien. Mais là il faut que l'Esprit Saint de mette tout seul au travail en moi, parce que moi, ça je ne sais pas le faire.

Dire merci parce que je vais me retrouver à la maison et non pas au Prieuré, dur dur dur.

C'est peut être cela le lâcher prise , faire confiance. Mais pas facile l'apprentissage. En tous les cas il s'agit bien de renoncer à une certaine habitude, à une certaine maîtrise pour aller malgré la raideur de cette hanche, malgré sa faiblesse aussi, vers autre chose et être sur que cet autre chose est ce qui est choisi pour moi.

Pas facile de louanger dans ces conditions, je prends exprès ce ce terme parce que louer est un moment où cela sort tout seul de soi, ces moments bénis qui sont comme donnés, louanger, il y a pour moi la notion de l'effort, de l'effort qui décentre de soi, de l'effort qui tourne vers Dieu envers et contre tout et qui permet de vivre cela comme une naissance.

Mais que c'est difficile. Oui "je suis trop petit pour faire de grandes choses... Et ces petites choses me semblent une montagne.

Et pourtant au fond du fond de moi, je sais que cela est bon.


mardi 8 avril 2014

Malaxer.. Mal axée

Cela fait quelques jours que j'ai l'impression que cette intervention chirurgicale m'a fait passer sous un rouleau compresseur.

Or l'image qui s'associe à cela, c'est celle du rouleau à pâtisserie de ma grand-mère et donc à une pâte que l'on roule, que l'on laisse reposer ensuite, puis que l'on  retravaille. Je ne sais pas si ce sera une pâte brisée (en ce moment c'est un peu comme cela que je me ressens) une pâte feuilletée (au quel cas il faut beaucoup de patience et de savoir faire), une pâte sablée ou même un crumble.

Ce que je veux dire, c'est que quelque chose se malaxe en moi, et que cela prend du temps. Je ne sais pas quelle forme cela prendra, mais pour le moment il faut attendre et par certains côtés je ne décide rien, je laisse faire le dessin de Dieu en moi. Et puis la pâte c'est une chose, la cuisson c'est autre chose.

Pour en revenir à l'image de la pâtisserie, il s'agit bien de mélanger en respectant des règles, mais ce mot de malaxer peut s'entendre différemment: on peut le scinder en deux; mal axé. Or c'est cela que je ressens dans mon corps depuis l'intervention.

Il y a eu cette sensation bizarre en salle de réveil avec un axe horizontal et non plus vertical, car le tremblement du fait de la rachialgie n'atteignait pas les jambes que je ne sentais pas, que j'avais comme perdues.

Il y a cette dissymétrie entre les deux jambes, avec une qui fonctionne, et l'autre qui par moments est un peu morte, qui tremble facilement, qui ne me porte pas. Cela ne veut pas dire que je ne la sente pas, mais c'est comme si l'axe était décentré.  Là il s'agit de l'axe vertical, mais le "être debout" ce n'est pas gagné.

Cela me rappelle cette époque où l'on avait diagnostiqué un déséquilibre du bassin (j'avais 10 ans, et en fonction de la croissance le déséquilibre est normal). Cela m'a valu des chaussures montantes orthopédiques, des semelles et surtout une chanson que mon père ne se privait pas de chanter:" il faut la voir, le long de la rivière, boitant par devant, boitant par derrière, la jambe droite qui cloche un tout petit peu, et la jambe gauche qui crie, au feu au feu." Cette chanson il me l'a rabâchée pour me montrer qu'il était un bon père, et que grâce à lui je marcherai normalement, mais c'était vraiment pervers de me traiter de boiteuse alors que c'était faux.

Et là, avec ces cannes, j'ai l'impression que je n'arrive plus à marcher droit, que tout est de travers et que je suis désaxée.

Et j'ai beau avoir tout le courage du monde, je ne peux pas aller plus vite que la musique, je dois accepter ce malaxage interne pour que le" mal axage" se corrige petit à petit, que je trouve une nouvelle manière d'être (et je suis sure que le physique réagit sur le psychique) donc que quelque chose de neuf va sortir de cela..

En attendant, il faut peut être partir à la chasse de levain ancien pour qu'il n'en reste rien et préparer une pâte neuve pour ce temps pascal qui approche.

 Je me suis d'ailleurs rendue compte d'une chose  étonnante, enfin pas tant que cela... On dit toujours "suivre" Jésus, or moi, suivre je n'aime pas trop et je sais que lorsque je fais du ski, souvent j'ai dans l'idée que Jésus est avec moi, à côté de moi, que parfois je lui dis merci quand j'ai évité une chute et que j'ai l'impression qu'il me tient par la main, mais il y a aussi l'envie de lui montrer le monde par mes yeux, pour qu'il voit par moment cette beauté. Je veux dire que d'une certaine manière c'est moi qui lui fait de la place, qui décide. Or suivre ce n'est pas cela, et ce que je vis dans mon corps en ce moment c'est un peu l'apprentissage du suivre. Et c'est loin d'être facile. On a beau être courageux, on a beau avoir envie de faire le mieux possible, il s'agit quand même de reproduire ce qui a été montré par l'autre. Alors peut être que le malaxage qui doit conduire à un réaxage pourra me permettre de rentrer dans cette autre dynamique.