vendredi 22 février 2013

Réflexions en début de Carême


En écoutant le mercredi des cendres la lecture du livre de Joël, la phrase "déchirez vos coeurs et non vos vêtements" j'ai  fait pensé à un enfant que j'ai connu dans ma pratique professionnelle. Il  était atteint d'une maladie génétique rare, qui faisait que d'une part il ne sentait pas la douleur quand il se faisait mal, mais surtout que sa peau se déchirait comme du papier. Il se mordait les doigts et se déchirait la peau dans toute son épaisseur. Je dois dire que regarder ses plaies faisait mal, étaient à la limite du soutenable. L'image qui m'est venue du coeur déchiré était de cet ordre là: un coeur dont l'enveloppe est abimée, déchirée, je dirai bonne à jeter.

Alors est ce que Dieu peut prendre plaisir à regarder cela? A dire vrai je ne le pense pas. Je me suis alors demandée ce que cela pouvait vouloir dire.

Quand un vêtement est déchiré, certes on peut le raccommoder, mais il est abîmé, parfois bon à être jeté. Quand on déchire une feuille de papier, c'est qu'on n'en veut plus. Elle est bonne à être mise à la poubelle.

Alors est ce que cela pourrait vouloir dire: reconnaissez que votre coeur n'est pas bon, laissez moi le déchirer pour le remplacer par un coeur autre. N'est ce pas ce que dit Ezéchiel: replacez votre coeur de pierre par un coeur de chair, un coeur qui aime. Le coeur de Jésus a été déchiré, l'évangéliste dit qu'il en sortit du sang et de l'eau, mais surtout que ce sang et cette eau créent quelque chose de neuf, la communauté de ceux qui vont vivre de l'Esprit de Jésus, et que le coeur déchiré devient fécond, et c'est peut être cela qui est important.

Mais le second terme de la phrase de Joël renvoie à déchirer ses vêtements et je dois reconnaître que c'est un geste qui m'a toujours interpellée. Et  avant de revenir au coeur, je voudrai réfléchir un peu sur ce que peut vouloir dire déchirer ses vêtements, car si le vêtement (le manteau) représente la fonction de la personne, le déchirer veut dire renoncer à se montrer d'une certaine manière.

Dans le premier testament et même dans le deuxième, on rencontre souvent des personnages qui déchirent leur vêtements. Jacob déchire ses vêtements quand il apprend que Joseph son fils préféré est mort. Ce geste est un geste que l'on retrouve dans le rituel de deuil des familles juives encore aujourd'hui. Il traduit la déchirure (quelqu'un a été enlevé au tissus familial), et la peine. Jacob ensuite prend des vêtements de deuil. Il a comme perdu son rôle de père, du moins en ce qui concerne son Joseph.

Dans le 2eme livre des chroniques que nous lisons en groupe en ce moment, il est dit que la reine Athalie, qui fait face à Jéhu qui vient de tuer son mari, déchire ses vêtements... Je me demande comment elle peut faire, car je doute fort que ses vêtements de reine étaient en mauvais état. Il doit donc y avoir quelque chose de symbolique dans ce geste. Une autre signification serait: tu ne fais partie de mon clan, de ma famille, je te maudis.  C'est d'ailleurs ce que fait le grand prêtre au moment du procès de Jésus. Déchirer son vêtement pouvant signifier: tu es renié de notre race, de notre famille. Ce qui est intéressant c'est de noter qu'il est interdit au grand prêtre de déchirer des vêtements (lev21). A croire qu'il ne connaît pas la Loi, et c'est pourtant au nom de cette Loi qu'il condamne Jésus. Mais du coup comme il n'est plus sous le coup de la loi mosaïque, il passe sous la loi romaine.

Porter des vêtements déchirés se trouve dans les pratiques du deuil. Or être en deuil c'est avoir perdu quelqu'un c'est être dans le manque, c'est être si je puis dire appauvri, donc pauvre. Le fait que dans les familles juives en deuil (de nos jours) les repas soient préparés et apportés par des tiers de la communauté peut aller dans ce sens: ils ont perdu quelqu'un, ils manquent de tout, alors nous leur apportons le nécessaire à la vie.

Quand on lit le livre de Jonas, on voit que tout le peuple porte des vêtements de deuil le sac, qu'il se couvre la tête de cendres et qu'il jeune. Je me suis souvent demandé (et j'ai déjà écrit la dessus) sur la signification de ce geste, qui a pour but de détourner la colère de Dieu. Il me semble avoir trouvé un élément de réponse.

En effet si on demande: qui porte des vêtements en mauvais état, déchirés? la réponse est: le pauvre.
Si on demande qui est sale parce qu'il n'a pas de maison pour se laver? La réponse est la pauvre.
Enfin si on demande qui n'a rien à manger, on a la même réponse le pauvre.

Etre pauvre, c'est ne rien avoir, c'est être dépendant. Alors ces gestes manifestent à la fois extérieurement, mais aussi intérieurement, que à ce moment là, je me sens totalement dans la dépendance de de Dieu qui est tout puissant, que je mets mon orgueil et ma suffisance de côté, et que cela est un moyen de déchirer son coeur.

Déchirer son coeur et non ses vêtements (qui peut être un geste vidé de son sens) revient à se reconnaître dépossédé, dans le manque, dans le besoin. Savoir que pour être réparé le coeur a besoin de Dieu, que l'homme seul en est incapable. Avoir un coeur de pauvre c'est peut être cela. c'est loin d'être facile.

Dans le psaume 50 (écrit peut être par David au moment où le fils de son union avec  Bethabée, est en train de mourir et où il reconnait que cela est la conséquence du mal qu'il a fait en condamnant Urie à mort), on trouve: verset 19: "d'un  coeur brisé broyé tu n'as pas de mépris".

Il me semble que cela peut compléter le coeur déchiré.

Quand on dit à quelqu'un "je te briserai" cela veut dire qu'on lui fera ravaler son orgueil, qu'on le soumettre. Un coeur brisé (peut être malaxé comme l'est la pâte brisée de nos tartes) serait un coeur qui se soumet entièrement, qui se reconnait (comme la pauvre) comme dépendant.

Un coeur broyé (en tout petits morceaux, réduit en miette) renvoie pour moi à une autre image: être broyé de chagrin. Alors avoir le coeur broyé ce serait reconnaître qu'on est malheureux parce que ce en quoi on mettait sa confiance est parti. On se sent abandonné, solitaire, incapable de faire comprendre aux autres ce qu'on est en train de vivre. Là encore pour sortir de cela, se tourner vers Dieu.

Ce que je pense aujourd'hui, c'est que nous (je) sommes très doué pour nous fabriquer des enveloppes qui nous satisfont. Accepter que ces enveloppes soient déchirées, permet au coeur qui est dans le coeur de prendre vie, avec le risque que lui aussi s'enveloppe dans une certaine satisfaction. Alors la conversion c'est ce perpétuel déchirement des enveloppes pour que le coeur du coeur, dans une sorte de mouvement de mise à nu vienne battre en nous.

Je crois qu'il y a au plus profond de nous un coeur vivant, un coeur qui chante, un coeur qui bat, un coeur qui est le coeur de Jésus et que l'important c'est de le laisser chanter et vivre sans trop s'en faire, parce qu'il est là.

samedi 2 février 2013

Laisser entrer...

Je me souviens d'une jeune femme qui parlait de sa conversion. Elle disait qu'elle avait vu une sorte de cave dans laquelle on ne pouvait pas bouger tellement il y avait de meubles, en particulier une armoire (certainement remplie de souvenirs, et de beaucoup d'autres choses). Je crois qu'elle a dû se sentir responsable (je dirai coupable) de s'être laisser envahir et emprisonner par tous cela. Elle a dû demander au Seigneur qu'il vienne l'aider à mettre de l'ordre dans ce bazar. Et pour elle la guérison a été de sentir que tout se mettait à bouger, que l'armoire se déplaçait, et que cette armoire qui occultait tout cessait d'avoir un tel poids et peut être aussi que la cave était inondée de lumière. 

Je me souviens m'être posé des questions sur pourquoi la cave, pourquoi pas le grenier (parce que pour la psy que je suis, ces lieux renvoient à des parties du corps différentes). 

Simplement ce que je sais c'est que ce témoignage est resté dans ma mémoire. 

Je me suis rendue compte que lorsque mes petits enfants viennent chez moi, je dirais qu'ils font comme chez eux et ne tiennent pas compte du tout de ma manière de fonctionner. Par exemple ils ont l'habitude chez eux de poser les manteaux sur la rampe de leur escalier alors que chez moi, il y a un porte manteau et que je n'aime pas du tout voir les manteaux trainer dans l'entrée. Ils se mettent pieds nus, ce que je n'aime pas, etc etc, mais ainsi ils se sentent bien. 

J'ai l'impression d'avoir été élevée avec l'idée que si j'étais chez quelqu'un (même de la famille) il fallait faire comme lui avait l'habitude de faire pour ne pas déranger. Sous entendu, c'est déjà beau d'être invité, alors il faut faire comme l'autre fait. 

Pourquoi parlez de cela et quel est le lien avec le premier paragraphe? Il est tout bête. 

Quand je pense que j'ouvre mon coeur pour laisser Jésus (ou l'Esprit Saint) entrer, (pour moi ouvrir est beaucoup plus explicite que de donner mon coeur à), et bien je veux bien qu'il rentre à condition finalement qu'il se coule dans ma manière de fonctionner.

Qu'il ne déplace rien (sans me demander), qu'il s'adapte à moi. Et là, je pense que ça ne va pas. 

Si j'accueille l'Autre, il n'a pas à faire comme moi j'ai envie qu'il fasse, parce que du coup il est comme privé de liberté, privé de vie. je devrais le laisser agir en moi (parce que je lui fais confiance) même si cela ne va pas du tout dans le sens que j'avais prévu.

Et peut être a t il de bonnes idées. Mais si difficile de sortir des habitudes, des rituels. 

S'il a envie de descendre dans la cave, c'est lui qui décide. S'il a envie d'aller dans le grenier, là encore c'est lui qui décide. Il a peut être sa manière à lui de mettre la table, pourquoi ne pas essayer? Laisser faire, se laisser faire ce serait accepter avec joie ce que fait l'autre pour qu'il se sente bien. 

Et je dois reconnaître que changer ses habitudes ce n'est pas toujours si facile, surtout quand on s'imagine que c'est ce qu'il y a de mieux. Ceci dit, je pense qu'il peut aussi y avoir parfois des compromis, mais si je lis l'évangile, je dois reconnaître que des compromis il y en très peu. Alors à chaque jour suffit sa peine,mais tout ce qui va dans le sens de la souplesse, va dans le sens de la vie.